Les otages.

Les Allemands étaient entrés une première fois à Mamey le 5 septembre lors de combats du Grand Couronné mais sans s'y maintenir. Lors des combats du 20 au 25 septembre, les Allemands entrent en force dans le village. Le gros des troupes investit Mamey dans la matinée du 22 septembre, il vont y rester jusqu'à la nuit du 24 et se retireront en emmenant une cinquantaine d'otages.

Voila ce qu'écrit l'abbé Porta.

"Les habitants de Mamey subissent les fantaisies du vainqueur et le 109è Badois a laissé dans les esprits des souvenirs détestables. Les hommes ont des visages de bandits,  ils en ont aussi les manières, on les voit obliger des femmes et des jeunes filles à jeter bas du fourrage pour leur chevaux. Quelques hussards de la mort tranchent encore par leur méchanceté sur la méchanceté des autres. 
- Ceux là confie un Alsacien, ce sont les pires de l'armée allemande.
Il y a aussi de braves cœurs,, un gradé se laisse attendrir et écrit sur une porte :
- Ne pas piller ! ...
- Mettez aussi quelque chose sur la mienne demande un habitant. Ici l'inscription ne pas piller serait inutile, la maison a été complètement vidée ; alors l'Allemand après réflexion écrit :
 - Ne pas brûler !
Avec un peu de bonne volonté, on peut toujours sauver quelque chose. Quand les soldats du colonel Nitard liront ces mots tracés à la craie  ils les croiront dictés par des mobiles intéressés ... Pour une fois c'est la bonté qui a parlé.

Tout d'ailleurs, se prépare pour une destruction totale. Dans la matinée du 24, les civils sont rassemblés dans les caves de la maison Pichon. Ils sont 56 parqués là sous la garde des sentinelles , à côté d'un matériel d'incendiaire. Des maisons ont été arrosées ai pétrole  et l'odeur s'en répand dans les rues , au moment voulu le village flambera comme une torche.

Dans l'après midi notre artillerie se réveille comme folle ; les salves succèdent aux salves, viennent piocher les maisons et accumuler de nouvelles ruines. Il ne restera bientôt plus une tuile sur les toits. Le bombardement cesse à 11 heures du soir. A minuit la Allemands évacuent les habitants dans leur ligne : c'est leur exil qui commence. Les soldats les entraînent dans la nuit, à peine vêtus, mal chaussés, avec de maigres bagages. L'abbé Rombard, curé, à pris la tête de sa paroisse errante. Dans les fossés de la route sont entassés les morts  à capotes grises; en pleins champs des ombres s'agitent, ce sont des corvées occupées à une funèbre récolte. Les cadavres raidis  sont chargés par piles sur des voitures qui les conduisent vers l'arrière où les statistiques françaises ne viendront pas les dénombrer.
Le voyage des exilés dure des heures, c'est un calvaire. Il y a là un vieux prêtre aveugle, l'abbé Petit qui a dû fuir en pantoufles. Il suit péniblement poussé à coup de crosse. Il trébuche dans les arbres qui barrent la route et chacune de ses chutes est saluée par des rires de soudards...
Enfin, comme l'aube du 25 se lève, les malheureux atteignent Fey. Leur voyage de 4 kilomètres a duré 3 heures. Il leur faudra maintenant 8 jours pour gagner Pagny.

Lettre écrite le 20 avril 1915 à Venergue (sud de Toulouse), par Rose Richy, épouse d'Henri Pichon, à son père Hubert Richy qui à ce moment là est réfugié à Gézoncourt.  Elle relate son départ de Mamey et son retour en tant que réfugiée par la Suisse. Son mari,  dont elle n'a aucune nouvelle depuis sa mobilisation en août 1914 a été blessé sur le front belge et en avril 1915, il est encore hospitalisé à Dinard en Bretagne.

Retranscription de l'intégralité de la lettre avec l'orthographe utilisée.

Venerque les Vernet le 20 avril 1915

Papa, mon bien cher Papa, Où es-tu ? que deviens tu ? Que penses tu et t’es tu bien soumis à la Sainte Volonté de Dieu pendant tous ces temps malheureux ? Oh je t’en prie, je t’en supplie fais vite diligence ! Qu’a toutes ces questions angoissantes j’ai de toi des réponses satisfaisantes et alors je continuerai de vivre encore pour te revoir, t’embrasser, serrer dans mes bras mon petit Désiré (Désiré Richy son neveu) chéri et enfin pour conter a Marie (Marie Maugras épouse de Théodore Richy), ma chère Marie ma pauvre vie malheureuse ! Quel heure cruelle ! il m’a fallu un courage surhumain lorsque à 10 h ½ du soir il m’a fallu quitter Mamey et les chers miens vous tous que j’abandonnais forcément ! Quelles journées de tortures suivirent ces douloureux chemins de la Croix ! Notre triste séjour à Fey en Haye (2 jours et 2 nuits) puis à Vilcey sur Trey (2 jours et 2 nuits encore) puis notre arrivée à Vandières 4 jours et 5 nuits puis enfin notre internement à l’église de Pagny / Moselle où après 1 nuit de Martyr nous sortons à 9 h du matin pour être logés par ordre chez les habitants qui nous ouvrent leurs portes en maugréant et nous traitent pendant notre séjour de 7 mois de camps-volants ! Enfin de nouveau on nous oblige à quitter le trop peu hospitalier bourg de Pagny nous ne savons où l’on va nous emmener. Sur une demande le Commandant, sosie d’Attila nous fait cette vague réponse : ceci c’est notre Secret ! Tant pis, en avant le troupeau en marche on le fouille sans pitié pour trouver les porteurs d’Or ! Oh quelle dérision, il nous a fallu vivre 7 mois et les vivres à des prix inabordables ! Enfin nous sommes dans le train est-ce pour la Wesphalie non Dieu est bon, dans notre douleur il nous montre l’espérance nous quittons l’Allemagne et déjà retentissent les Vivats enthousiastes de la Suisse, ce pays enchanteur où l’on ne voit jolis cottages et verdures, véritable Eden ! Oh avec quels accents on nous acclame. Des cris de Vive la France se font entendre de tous côtés. Des bébés sur les bras des mamans agitent des petits drapeaux aux trois couleurs, tous ces témoignages de véritables amitiés nous font pleurer des larmes de joie ! Et notre arrivée à Zurich où l’on nous fait descendre du train pour nous emmener déjeuner dans le plus grand hôtel de la ville. Les dames de la Croix rouge lavent les enfants, font marcher les vieillards engourdis, donnent des paquets de linge et d’effets oh quelle charité, quelles bonnes paroles réconfortantes et partout la route se continue ainsi ! Enfin nous voilà de nouveau en France à Annemasse en Haute Savoie nous y couchons et nous sommes à Thonon le lendemain ou je t’ai écrit une carte, l’as tu reçu ? Nous avons continué notre voyage sur le midi, Toulouse et enfin Venerque le site est charmant, le monde affable, nous sommes seuls et indépendants dans une jolie petite maison, la Rosine est avec nous Léon a été tué à Pagny d’une bombe française il y a 10 jours. Pagny était près mais Venerque est loin enfin que veux tu résignons nous. Je te quitte en te disant hâte toi de m’écrire donne moi des nouvelles et je te répondrai plus longuement encore car j’en ai a te dire !
Parrain Alexandre (Alexandre Richy, son oncle), marraine Phanie, Adrienne ne m’ont pas quitté nous vivons bien unis ! Par bonheur
Sais tu ce que fait mon cher grand Henri (Henri Pichon son mari) et mon bon Théodore !(Théodore Richy, son frère,  mortellement blessé près d’Ypres, il décède à l’hôpital de St Nazaire le 19 novembre 1914)
Moi je ne sais rien cela me tue, j’ai écrit déjà 3 fois pour savoir.
Au revoir, Cher Papa, je t’embrasse comme je t’aime ainsi que Marie et Désiré mon chéri. 

Dans une lettre écrite le 26 avril 1915 de Venergue (sud de Toulouse) par Alexandre Richy  à son frère Hubert Richy. IL parle de son départ dans la nuit du 22 au 23 septembre alors que dans son livre l'abbé Porta parle de la nuit du 24 au 25 septembre. Y a t-il eu plusieurs déportations de civils vers l'Allemagne ? ou simplement une erreur de date ? Je pense plutôt à une erreur de date. On retrouve en tout cas la même situation avec dans cette lettre des interrogations sur de nombreux habitants du village.

Retranscription de l'intégralité de la lettre avec l'orthographe utilisée.

Venergue le 26 avril 1915 banlieue de Toulouse

Bien cher frère

Que s’est-il passé à Mamey après notre brusque départ dans la nuit du 22 au 23 septembre parmi les personnes qui étaient avec nous enfermées et gardées par les Prussiens avec menace de mort pour qui chercherait à s’échapper, il n’est resté que Mi ??? Prévot, Edouard Kestler et François Aubriot que sont-ils devenus ? Ils avaient dit cependant que les femmes pouvaient rester, mais la scène lugubre de la cave les avaient tellement affolé que pas une ne voulut rester, ma femme et Rose (Rose Richy est sa nièce, c'est l'épouse d'Henri Pichon) déclarèrent pour leur part qu’elles me suivraient partout, Rose aurait voulu aller te chercher mais on ne laissa personne s’écarter pas même moi ni Pichon (Dominique Pichon, le père d'Henri Pichon) sur le pas de nos portes. Nos bêtes manquaient de tout, le boire et le manger, impossible de les alimenter. Comme je m’en plaignait , M le curé de Mamey me répondit sèchement pensez d’abord à votre peau. Louis (Louis Richy, son fils) me dit avoir retrouvé les vaches, après combien de temps ? il y avait encore le cheval français boiteux et une petite chèvre ils sont sans doute ???
Combien n’ai je pas pensé à tout cela pendant mes nuits d’insomnie. Enfin le triste défilé se mit en route au son du jargon des Prussiens qui nous emmenaient baïonnette au canon vers ce que j’ai toujours appelé le chemin de la croix, en regardant en arrière en haut du chemin de Feys, quel lugubre tableau le village flambait celui de Lironville en feu quel hideux tableau. Nous fîmes halte sur halte jusqu’au poteau la route était jonchée d’arbres quel chaos. Arrivés là nous crûmes notre dernière heure venue ; enfin on nous emmena à Feys où on nous caserna à la Maison Commune sur de la paille en fumier . On nous amena le père Burté de 3 à 4 heures du matin il avait été ramassé dans le village. Il avait été pour entrer dans la cave Fauconnier qu’il trouva fermé il descendit votre allée trouva un homme couché dans un lit ; il avait essayé de lui parler et ne lui répondit pas. Il sortit les prussiens l’emmenèrent à Feys où ils l’internèrent avec nous, il est décédé à Pagny le 19 janvier, il fut trouvé mort à côté de son lit. Après avoir passé 2 nuits et un jour à Feys on nous emmena à Vilcey avec les gens de Feys, ceux de Regnièville vinrent nous rejoindre. 
Ayant passé 3 jours à Vilcey on nous emmena à Vandières où nous restâmes 3 jours aussi ensuite on nous ramena à Vilcey arrivés à l’entrée on nous fit faire une halte de deux heures par un froid vif. Puis on nous fit retourner sur nos pas jusqu’à Pagny. A la sortie de Vilcey 3 jours avant Raimond et Emile Petit et François Mathiot nous quittèrent. Nous restâmes 3 jours et autant de nuits à l’église ainsi que tous les hommes de Pagny. Le lendemain Raymond Petit et ???  furent ramenés avec nous à l’Eglise, je vous avait dit qu’ils avaient pris le devant le jour de notre premier départ de Vilcey.  Ils espéraient gagner Pont-à-Moussonn par Vandières, on les arrêta dans ce dernier village on les emmena à Metz sauf Mathiot qu’il laissèrent à Arnaville à cause de sa difficulté de marcher, ils restèrent du 27 septembre enfermés à Metz jusqu’au 2 octobre où on les emmena avec nous à l’église de Pagny. Nous en sortîmes le 4 octobre à 1 heure et demie du soir en nous disant de loger chez les habitants. Raymond et Emile furent avec nous une quinzaine. Ensuite ils demandèrent un laisser passer pour Vandières où Aubriot, sa femme Marie Loco les deux Tisserands (ils avaient laissé la père à Vilcey malade où il s’est pendu) Pichon sa femme sa fille sa mère et sa sœur y étaient aussi ainsi que la mère Collignon, la mère grande y est morte le 3 novembre dernier, j’ai été à l’enterrement l’ai mise au cercueil et même porté en terre. Raymond et Emile réussirent à se sauver vers les premiers jours de décembre nous n’en avons plus entendu parler, savez vous s’ils ont réussi.? Léon Manginot à été tué d’une bombe le 6 avril dernier Rosine est avec nous et vous donne le bonjour à tous ainsi que la famille Mangin,  Gustave Perrin qui sont avec nous, nous sommes à Venergue. Nous avons reçu une lettre de Louis  (Louis Richy, son fils) samedi au lieu de nous causer de la joie comme cela devrait être, nous en avons été consterné et éprouvé un violent chagrin à la triste nouvelle qu’il nous a annoncé, que je voudrais être près de toi pour tâcher d’adoucir les regrets cuisants que crois le bien nous ressentons tous de cette perte si douloureuse qui nous frappe, mais enfin bénissons encore la main de Dieu oh pauvre Marie (Marie Maugras épouse de Théodore Richy mortellement blessé près d’Ypres, il décède à l’hôpital de St Nazaire le 19 novembre 1914) pauvre cher petit (Désiré Richy). Donnez nous je vous prie des détails sur Mamey sur mon pauvre ami le père Maugras (père de Marie Maugras, jeté dans un puits) je prend bien part à la douleur de sa veuve et de ma chère Marie que de deuils.
Que fait Monsieur Guichard et Elise les habitants de Mamey lesquels manquent ? J’attends les détails, le 11 janvier on évacuait les évacués de Villey sous Prény de Vandières et Arnaville la famille Auguste Lafleur à Pagny il paraît que Genetaire est revenu. Aubriot est mort à Annecy en revenant d’Allemagne.
Je vous quitte en vous embrassant faites des compliments à votre beau frère et belle sœur enfants Pierson sa fille.

Alexandre RICHY

Dans cette lettre Alexandre Richy parle de Émile et Raymond Petit qui ont finalement réussi à s'évader après plusieurs tentatives. On retrouve leurs traces dans un article de l'Est Républicain du 29 novembre 1914.

Certains ont pu fuir  le village lors de l'arrivée des Allemands le 22 septembre, c'est la cas de la famille Gosserez.

A l'occasion des commémorations de la Première Guerre mondiale, les archives départementales des Alpes Maritimes ont édité des récits d'écoliers accueillis en tant que réfugiés dans le département des Alpes Maritimes. 
En 1916 le service des Réfugiés de la Préfecture avaient eu l'idée d'organiser un concours dans les écoles d'accueil où les enfants devaient raconter leur exil.

Charles GOSSEREZ était né à Mamey le 12 janvier 1906, c'était le fils aîné de  Célestin GOSSEREZ  premier habitant du village  tué tout au début de cette guerre le 20 août 1914, à la bataille de Morhange, il avait 34 ans et était père de 4 enfants, son dernier fils venait de naître. Charles GOSSEREZ est décédé à Laronxe (54) en 1973. Son fils est venu aux cérémonies du 11 novembre 2016 à Mamey avec des membres de sa famille.

 D'autres ont été tués. Un crime de guerre !

Récit de l'abbé Porta

"Dans le bouleversement des jours précédent,  un vieillard Joseph Maugras a disparu.  On n'a retrouvé que ses chaussures sous son lit.  A-t-il été évacué par les Allemands avec les autres habitants ?  C'est peu probable.  Au cours des derniers bombardements il a été blessé  dans les jambes et il n'a pas été enfermé avec le reste de la population dans les caves de la maison Pichon.  Alors qu'est-il devenu ? ... Pendant un mois on sera dans l'incertitude; :l'autorité militaire prescrira des recherches qui n'aboutiront pas , on trouvera simplement un bavarois étendu dans un lit et tué par un obus durant son sommeil. Mais, vers le 15 octobre, les soldats à cours d'eau voudront remettre en service un vieux puits que par crainte d'accident, on avait recouvert de planches et de madriers. Ils trouveront un cadavre d'habitant, les jambes brisées que le maire reconnaîtra pour être celui du disparu. Détail troublant : il aurait du avoir sur lui une importante somme en or, on ne retrouva rien dans ses poches, rien dans le puits. Dès lors on peut reconstituer le drame sans hésitation possible, il a été fouillé et volé par les soldats, puis les assassins le précipitèrent par dessus la margelle qu'il recouvrirent ensuite." 

La recherche des disparus.

C'est le journal de l’association française pour la recherche des disparus, paru entre 1915 et 1917 et édité par la Croix-Rouge française. Née à l’initiative de personnalités lyonnaises, cette association  est installée à Lyon.  Elle est placée sous le haut patronage de la Société de secours aux blessés militaires et rattachée à l’Agence des prisonniers de guerre de la Croix-Rouge française. A sa création, elle s’est fixée deux missions : la recherche des disparus, et la facilitation des retrouvailles.

Son intervention s’effectue après épuisement des moyens d’informations traditionnels mis à la disposition des familles. Le moyen retenu par les fondateurs a été la diffusion d’un journal intitulé La recherche des disparus. Les familles adressent une demande au journal en remplissant le coupon et moyennant un franc de publicité, pour que le journal publie les noms des disparus recherchés (militaires, rapatriés belges, rapatriés anglais et civils français). Grâce à son réseau de correspondants à l’étranger, le journal publie également des listes de personnes internées, hospitalisées, réfugiées, rapatriées de Suisse, mais aussi des noms de personnes voulant se signaler (en indiquant leur nouvelle adresse par exemple). 

Les informations qui parviennent à l’association sont transmises gratuitement aux demandeurs, sauf en cas de décès. Dans ce cas, les données sont transmises au bureau de renseignements aux familles du ministère de la Guerre ou aux archives administratives du ministère de la Guerre, qui seuls peuvent les rendre publiques.

Au total, 73 numéros de ce journal ont été publiés entre février 1915 et décembre 1917, selon une périodicité irrégulière. Dans ce numéro paru le 22 avril 1915 on retrouve une liste d'habitants de Mamey.

Un retour progressif des otages.

Du premier décembre 1914 au 28 mars 1920, sont parus 287 numéros du Bulletin de Meurthe et Moselle, un journal de liaison pour échanger des nouvelles avec les réfugiés et les évacués des zones de guerre. Dans ce journal on retrouve parfois, à certaines dates, pour le village de Mamey, le nom d'habitants du village et le lieu où ils ont été envoyés.