Carnet de route de Gabriel DELOR. (mai 1916)

1er mai 1916 
J'ai travaillé toute la matinée, et l'après-midi, je me suis reposé. J'en ai profité pour essayer de finir mon petit aéro, mais j'ai bien du mal à faire ce que je veux: Je casse toujours des pièces en les montant. Le soir, à minuit, nous allons travailler jusqu'au matin 1h. 

2 mai 1916 
Hier matin, je me suis reposé, et l'après-midi, j'ai travaillé dans un boyau. La nuit, j'ai recommencé le même travail. Les boches nous ont envoyé des torpilles en quantité, et des énormes, et tout l'après-midi. Il y en a une qui est tombée à la porte d'une guérite de la 22ème Compagnie qui était en première ligne à notre place; les trois hommes qui étaient de faction ont eu le temps de se jeter dans l'abri; ils n'ont eu que des égratignures, mais la guérite a été complètement démolie, ils ont eu de la chance. A part ça, rien de nouveau.

2 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Journée calme. Un assez grand nombre de torpilles tombent à 4 heures du matin et de 20 à 24 heures dans le but de gêner nos travailleurs.

3 mai 1916 
L'après-midi, nous avons été libres et le soir, à 7h, nous sommes montés en première ligne. Au moment où nous étions dans les boyaux, les cochons de boches nous ont envoyé des torpilles, des bombes et des crapouillots, il en tombait de tous les côtés; heureusement, par un effet du hasard, personne n'a été blessé. C'était effrayant, on n'entendait que des éclatements, et les morceaux qui tapaient dans tous les coins, les mouches comme on appelle ça dans les tranchées, parce que les éclats bourdonnent. J'ai pris la faction pour 24heures en première ligne à minuit.

2 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Bombardement violent par torpilles de Regniéville Gauthier et Rycklinck pendant toute la journée.

4 mai 1916 
J'ai continué ma faction de 8h à 11h du matin et je l'ai reprise de 7h à minuit. Il y a des boches qui ont cherché à venir dans nos tranchées, en face de notre petit poste, heureusement qu'on les a aperçus à temps; nous les avons surtout entendus dans nos fils de fer; on a envoyé des fusées éclairantes aussitôt et une grenade qui a éclaté juste à l'endroit où on croit les avoir vus; cela n'a pas eu de suite. Ils nous ont envoyé des chemins de fer et des énormes torpilles. A part ça, rien de nouveau.

5 mai 1916 
Je me suis reposé toute la journée et j'en avais bien besoin parce que j'étais très fatigué, surtout que je reprenais la garde en première ligne à minuit pour 24heures. A 6h1/2 du soir, il y a deux de nos saucisses qui se sont sauvées chez les boches, les câbles d'acier ont dû casser par le vent. Il y en a une qui est tombé dans le Bois de la Râpe; nous espérons que les observateurs ont eu le temps de descendre en parachute, sans cela ils sont allés à une mort certaine. Les boches tirent constamment dessus avec leurs canons et leurs mitrailleuses; nous espérons avoir d'autres renseignements aujourd'hui à ce sujet.

6 mai 1916 
Jour de mon arrivée au 102ème(en réalité le 302ème) RI à Chartres l'année dernière.
(Un régiment de l'armée active avait toujours son régiment de réserve dont le N° était augmenté de 200)



Inscription toujours visible au secteur de Jolival après le Pont des Quatre Vaux

J'étais de faction en première ligne hier après-midi jusqu'à minuit. Nous avons eu un orage assez fort (éclairs, tonnerre et forte giboulée). A 11h du soir, une ronde passe dans notre tranchée et nous annonce qu'un petit poste, dit poste du 311ème, serait pris par les boches. Voilà toute la Compagnie sur pied, des patrouilles de tous les côtés croyant que les boches étaient dans nos lignes, des fusées éclairantes partent de tous les côtés. Le Chef de patrouille arrivant au poste ne trouve personne qu’un équipement et une capote. Aussitôt, pas de doute de sa part, le petit poste a été pris par les boches. Erreur, des torpilles étaient tombées auprès de l’endroit où se trouvait le petit poste, les hommes étaient remontés un peu plus haut dans le boyau. Voilà ce qui a fait croire au Chef de patrouille que le petit poste avait été pris. De cette affaire, nous n'avons été relevés qu'à 1H du matin.

6 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Quelques rafales de 105 à partir de 14 heures sur le village et les boyaux arrières.

7 mai 1916 
Je suis de repos toute la journée, mais malgré ça, je vais nettoyer les boyaux et chercher de l'eau dans un gros pot à lait, des chevaux de frise et des pieux au pays en tout quatre voyages; à patauger dans l'eau et la boue. Avec ces sales chevaux de frise on a les mains toutes déchirées et on est en nage à passer dans les boyaux où les fils de fer barbelés accrochent tous les pieux en passant. A minuit, violent bombardement au Bois de Mort Mare pendant 1heure. On s'attend à une attaque, mais 1h1/2 après, tout redevient calme et rien ne se passe rien.

7 mai 1916 : (JMO 302e RI ) A la suite d'un violent cyclone plusieurs ballons observateur français rompent leurs amarres et passent au dessus des lignes allemandes.

8 mai 1916 
Le matin, repos. Le soir, relève du Bataillon, nous allons dans les baraques de Fontaine Madame, derrière le 212ème (Régiment) d’Infanterie. Nous sommes relevés à 8h du soir. 

9 mai 1916 
Après une bonne nuit de repos, on profite de la journée pour faire le grand nettoyage de sa personne et changer de linge, cela fait du bien. Je vais à Jolival chercher un sac de charbon de bois pour faire la cuisine des officiers. Le soir, je finis mon aéro que j'emballe tout prêt pour être expédié à ma petite femme chérie. 

9 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Bombardement de 150 sur le village et ses abords. Relève du 6e Bataillon par le 5e. Le Général GERARD accompagné de CLEMENCEAU Président de la Commission Sénatoriale vient visiter le bivouac du 302e.

10 mai 1916 
Repos toute la journée. J'ai fini de prendre ma faction de garde de 4h à 6h. De là, je devais aller piocher la nuit en première ligne avec ma Compagnie, mais les signaleurs sont restés là, alors je me suis couché et j'ai bien dormi.

11 mai 1916 
Hier matin, j'ai été à la soupe à Jolival. Il faisait chaud. L'après-midi, j'ai été aux douches à Mamey et je suis revenu par la forêt. Le soir, j'ai été au cours de signaleur de 7h à 10h. Après, j'ai été me coucher.

12 mai 1916 
Repos toute la journée, rien de nouveau. 

13 mai 1916 
J'ai repos toute la journée. Je vais au cours de signaleur le soir de 7h1/2 à 10h et après, j'ai toute la nuit pour me reposer. Les copains vont travailler en première ligne de 9h à 1h du matin.

13 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Les travaux d'aménagement de la position en vue de l'organisation offensive se poursuivent très activement. Le général Pental commandant de la division accompagné du Colonel visitent le secteur qui de quatorze à dix huit heures est violemment bombardé par torpilles.

14 mai 1916 
Même travail que la veille. Nous apprenons qu'une torpille est tombée sur un abri de mitrailleurs et que l’abri s'est effondré, engloutissant les trois pauvres malheureux qui ont été écrasés. Il y en a un qui a été blessé dans le boyau par un éclat à la tête;l’on va lui faire l’opération de trépan, il s'est sauvé en voyant la torpille arriver, sans cela il aurait été écrasé aussi. 

15 mai 1916 
Rien de nouveau, repos toute la journée. Toujours du mauvais temps. 

16 mai 1916 
Le temps s’est remis au beau. Repos toute la journée parce que nous remontons en première ligne à 7h1/2. J'ai pris la faction à minuit jusqu’à minuit demain. Les boyaux sont éboulés de tous les côtés. Les boches lancent des torpilles sur tous les endroits où la terre a été remuée, et comme le génie monte des guérites blindées et qu'il remue la terre, les boches écrasent tout avec leurs sales torpilles. Nous travaillons jour et nuit pour remettre le secteur en état, parce que nous sommes sur le point de partir d'ici quelques jours.  

16 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Les Allemands procèdent à un bombardement méthodique de toutes les tranchées où ils ont constatés une reprise de travail en particulier sur l'ouvrage 14 et l'observatoire 3. 

17 mai 1916 
Je suis de faction jusqu'à minuit. Il fait un clair de lune superbe et les boches travaillent toute la nuit à quelques mètres de nous. Ils nous ont envoyé des grenades tout près de notre poste, on a eu que le temps de se jeter dans la guérite pour ne pas recevoir d'éclats. 

17 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Les Allemands continuent à effectuer un tir méthodique sur toutes les parties du secteur où ils ont pu constater que des travaux étaient effectués. Le 302e est informé que la 65è eivision sera relevée les 18, 18, et 20 mai par le 33e Corps d'Armée, les nouveaux commandants de régiment devant prendre le commandement de leur secteur le 21 au soir à 0 heure.

18 mai 1916 
Je reprends la faction en première ligne à minuit jusqu'à la relève qui doit arriver demain vers 8h ou 9h du soir. Nous allons quitter notre pauvre pays de Regniéville-en-Haye pour une destination inconnue jusqu'à présent. 

Ruines de Regniéville en Haye. Le village n’a pas été reconstruit. 

18 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Journée assez calme sur la position. Le 302e est rattaché au 31e Corps d'Armée qui se compose provisoirement des 64 et 65e divisions et se rendra aussitôt la relève terminée au camp de Saffais. Le Chef de Bataillon commandant le 237e Régiment d'Infanterie et les officiers du bataillon de ce régiment chargé d'occuper la position de Regniéville viennent visiter le secteur.

19 mai 1916 
Je suis toujours de faction de 6h à 8h. Les boches ne sont pas commodes: Ils nous envoient des quantités de torpilles et de crapouillots pour notre dernier jour à Regniéville. Nous sommes relevés à 11h du soir par le 237ème(Régiment) d'Infanterie. Ils ne sont pas habitués à voir des torpilles comme çà et cela les effraie. A 11h1/4, enfin nous avons quitté notre secteur. 

19 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Le 6e Bataillon est relevé sur la position par le 5e Bataillon du 237e et se rend à Martincourt.

20 mai 1916 
Nous sommes arrivés ce matin à Martincourt, il était 2h1/2. Nous avons toute la journée pour nous reposer et nous partons ce soir à 7h pour Avrainville.

20 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Le 6e bataillon quitte Martincourt à 19 heures et se rend à Avrainville où il cantonne.

21 mai 1916 
Nous sommes arrivés hier au soir à 11h1/2 à Avrainville, nous sommes passés par Tremblecourt et Manoncourt. Nous avons eu de la chance, le frère de mon caporal Deslandes vient d'arriver comme sergent dans l'un des régiments qui nous remplace, et a eu la gentillesse de venir avec son cheval et sa voiture pour nous apporter nos sacs jusqu'à Avrainville. Nous avons été bien soulagés, je voudrais en avoir autant pour ce soir. Nous devons partir à 11h pour aller à Villey-le-Sec. 

21 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Les deux bataillons, les compagnies de mitrailleuse et la CHR quittent leur cantonnement respectif à 23 heures pour se rendre à Villey le Sec.

22 mai 1916 
Nous sommes partis à 11h1/2 et nous sommes arrivés à 4h1/2 du matin, après être passés par Villey-Saint-Etienne et Gondreville (12 km à l’Est de Nancy). J'étais très fatigué en arrivant ici, heureusement que nous marchons la nuit, sans cela les trois quart resteraient en panne. Villey-le-Sec est entouré d'un fort. Nous pouvons rester 2 jours ici.  

22 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Le Régiment entier cantonne à Villey le Sec.

23 mai 1916 
Nous sommes partis ce matin à 3h1/2 malgré que nous devions rester 2 jours, l'ordre est arrivé le soir à 4H. Nous avons traversé Marron, Neuves-Maisons, Messein et nous sommes arrivés ici à Richardménil à 10h très fatigués. Toute la division nous suit, nous sommes en tête des six régiments, notre drapeau a été décoré par des jeunes filles de Neuves-Maisons en offrant des roses superbes qui ont été accrochées après. Il y a des hauts fourneaux dans ce pays et on extrait beaucoup de minerais. Nous devons repartir pour notre dernière étape ce soir à 11H.

23 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Le 302è se rend de  Villey le Sec à Richardménil où tout le régiment cantonne.

24 mai 1916 
Nous sommes partis ce matin à 3h1/2 pour notre dernière étape. Nous sommes passés par Azelot, Burthecourt-aux-Chênes, Ferrière, Saffais et nous sommes arrivés à 10 H (à Vigneulles) bien fatigués. Nous sommes logés dans une grange qui n'est pas trop mal. J'espère que nous resterons ici un bon moment. 

24 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Le 302e Régiment Quitte Richardmenil. Le 6e Bataillon et la 2e compagnie de mitrailleuse va cantonner à Vigneulles.

25 mai 1916 
Repos toute la journée. J'ai travaillé à rétrécir mon pantalon et mettre des boutons. Il y a un poilu de la 22èmeCompagnie qui s'est noyé en se baignant dans la Meurthe; pas assez d'être tué par les boches, il faut qu'il aille se noyer! C'est un malheureux qui laisse trois enfants, c'est terrible de voir ça ! 

25 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Le Régiment occupe les mêmes cantonnement . La journée est consacrée aux travaux de propreté et à l'aménagement du cantonnement.

26 mai 1916 
Je vais au cours de signaleur dans le petit pays qui est à côté du notre, où se tient le 5ème Bataillon, à 2heures le matin et à 2heures l'après-midi.

26 mai 1916 : (JMO 302e RI )

27 mai 1916 
Nous apprenons que notre régiment va être dessous, et que le 6ème Bataillon va être versé au 312ème RI et le 5ème au 311ème RI. Nous sommes tous vexés de voir cette injustice, notre régiment ayant toujours fait son devoir, tandis que des régiments qui ont été fautifs n'ont pas été supprimés. Cela va faire beaucoup de rumeurs. Nous attendons cet ordre.

28 mai 1916 
Rien de nouveau.

29 mai 1916 
J'étais au cours de signaleur, hier au soir, comme d'habitude, quand tout à coup, des ordres sont arrivés pour dire que nous étions en alerte. Nous sommes rentrés aussitôt pour faire nos sacs, et depuis, nous attendons la suite des événements. A l'ordre de départ, nous devons être embarqués en chemin de fer pour une destination inconnue comme toujours. Il faut espérer que ce n'est qu'une fausse alerte. 

29 mai 1916 : (JMO 302e RI ) A 14 heures le 302e reçoit l'ordre de se tenir prêt à embarquer sans délai, les opérations relatives à la réorganisation des brigades se trouvant en conséquence suspendues. A 15 heures 30 un nouveau message fait connaître que tout en prenant les dispositions nécessaires en vue d'un embarquement , il y a lieu de continuer la formation des régiments à 3 bataillons contrairement à ce qui avait été indiqué dans le premier ordre.

30 mai 1916 
Nous avons assisté, hier après-midi, au départ de notre drapeau et de notre Colonel, cérémonie émouvante. Tous les régiments assistaient à la cérémonie. Au discours de notre Colonel, tout le monde avait les larmes aux yeux. Le Colonel était très affecté de la dislocation de son régiment; depuis 18 mois, il en était le chef et il avait organisé beaucoup de choses. Musique, équipe de football vont être dissoutes maintenant. Le 6ème Bataillon passant au 312ème(RI) et le 5ème Bataillon au 311ème(RI). Nous nous demandons ce que va faire l'État avec ces nouveaux régiments à 3 bataillons.(Certaines unités ayant eu de grandes pertes, des regroupements ont été décidés pour maintenir un effectif suffisant dans chacune.) 

30 mai 1916 : (JMO 302e RI ) Le colonel Echard tenant à présenter pour la dernière fois le drapeau du 302e passe un revue du régiment à l'intersection des routes de Vigneulles et de Barbonville.


Adieu le 302 d'infanterie! 


31 mai 1916 
Aujourd'hui, dernier jour du 302ème RI. L'après-midi, nous assistons à un match de football qui était très intéressant. Pour notre dernier après-midi, nous avons eu repos.

1er juin 1916 
Nous avons été à l'exercice le matin, et le soir, nous avons fait des attaques et des contre-attaques. Le soir, il y a eu manœuvre de Bataillon, la prise du village. Nous avons fait un autre exercice pour les observateurs de la saucisse. Nous sommes restés couchés dans les blés 2 heures et demi en plein soleil; nous étions cuits ! 

2 juin 1916 
Repos toute la journée. Nous apprenons que nous partons ce soir pour une destination inconnue. 


Le but est Verdun : Cote 304 et Morthomme