Le Mouchoir.

Un lieu.

C'est en décembre 1914 que ce nom apparaît dans les JMO. Il fait référence à un petit bois situé au Bois le Prêtre entre la tranchée de la Croix des Carmes et la tranchée de Vilcey. (Ici le terme tranchée désigne de grands passages à travers la forêt). Ce bois correspond à l'avancée ultime des régiments français à l'intérieur du bois le Prêtre.

En novembre 1914 les combats au Bois le Prêtre pour le controle du bois commencent. Une série de succès permet aux régiments francais de progresser, la maison du père hilarion est prise le 10 décembre 1914. Les Allemands se retranchent sur la ligne de crêtes, sur un axe qui va de Fey en Haye à Norroy en passant par la Croix des Carmes (372 m). C'est sur cette ligne que les affontements vont, mois après mois redoubler d'intensité. Pendant dix mois, plus de 150 actions défensives et offensives seront conduites au Bois-le-Prêtre. Plus de 7000 Français et tout autant d'Allemands y trouveront la mort ce sera pour les Allemands le Witwerwald, (le "Bois des Veuves"). 


 

Le secteur du Mouchoir sera aprement disputé.


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C'est en avril 1915 qu'il semble définitivement controlé.

 

Le poste de secours du Mouchoir en hiver.

 

 Ce secteur est défendu par la 73e division commandée par le général Lebocq et le 15 juillet 1916,  le service photographique des armées réalise de nombreuses photos.

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Un journal.

Le Mouchoir c'est surtout un journal de tranchée qui aura son heure de gloire au Bois le Prêtre. Il est créé par l’abbé Georges Ledain, curé à Saint-Pancré (54730) près de Longwy, mobilisé comme infirmier à la 23e section de brancardier de la 73e Division. Ses principaux collaborateurs sont Joseph Lesage, sapeur téléphoniste, un talentueux dessinateur, artiste peintre dans le civil, qui va devenir l'illustrateur très inspiré de cette feuille, un journaliste professionnel, Alfred Boucheron, rédacteur à l’Agence Havas, qui rédige la rubrique " En première ligne ", le seul article sérieux et souvent grave toujours signé "La rédaction", car cette gazette du front a surtout pour but de distraire et d'amuser les soldats, de leur faire un peu oublier leurs conditions de vie difficiles, le froid, la faim, les rats, les problèmes d'hygiène et de santé, le fameux pinard, les permissions, le courrier, les brancardiers et tous les planqués de l'arrière..

Ce sont 62 numéros truffés d’anecdotes, de jeux de mots, de rébus,  de contrepèteries et de nombreuses poésies qui vont sortir,  pour la pluspart,  d'une petite imprimerie installée à Maidières.  C'est un des journaux de tranchées les mieux illustrés,  les dessins de première page de Joseph Lesage sont remarquables.


J'ai retrouvé ces journaux sur plusieurs sites d'archives départementales (Somme, Seine et Marne) et sur le site de la BNF (bibliothéque nationale de France) mais pas toujours faciles d'accès. Ces feuilles de plus de cent ans ont pour certaines des encres qui ont eu tendance à s'effacer. Je pense avoir téléchargé l'ensemble de ces journaux que l'on peut consulter ici.

Le premier numéro publié le 14 Novembre 1915, est une simple feuille au format  de 24 x 31, imprimée recto verso, probablement à la maison du Père Hilarion 

La manchette du journal affiche deux jeux de mots, ORGANE  du PÉRIL .. ? (Ah ... RIONS ... !)  et TIRÉ A LA PÂTE DOIGT en référence aux trois chemins près de la maison, qui ont donné le lieu-dit de La Patte d'Oie.  C'était une manière d'indiquer sa localisation à un moment où une censure très sévère interdisait aux publications militaires de donner des informations sur la position des divisions, mais les fondateurs du Mouchoir donnèrent deux tuyaux à leurs lecteurs.

Ce journal  va paraitre dans un premier temps toutes les semaines, le dimanche. Ce journal étant dirigé par l'abbé Ledain, les fêtes religieuses sont systématiquement célébrées dans les pages du journal, Noël, Pâques, la Saint-Nicolas, l'Epiphanie, la fête de Jeanne d'Arc. Pour ces occasions, l'équipe compose des numéros spéciaux qui comportent jusqu'à parfois douze pages dans lesquelles les rédacteurs expriment leur foi en l'espérance chrétienne, soutien moral très fort pour les soldats de cette époque.

Les poètes du Mouchoir ne doutent de rien, ainsi le numéro 8 publie une poésie adressée au généralissime Joffre qui va remercier son auteur avec une carte de félicitations. 

Les croquis des villages constituent une splendide collection de souvenirs on retrouve sur le numéro 13 la rue principale de Montauville et l'église, Montauville revient souvent dans les articles du journal, avec une chanson dans le numéro 20 et un poème sur le coq de l'église dans le numéro 30.

21/11/1915  N° 2

28/11/1915  N° 3 05/12/1915 N° 4 12/12/1915 N° 5 19/12/1915 N° 6 25/12/1915 N° 7

Le numéro 15 montre un dessin du pont détruit, le 5 septembre 1914, à Pont-à Mousson, pour tenter de ralentir l'avancée allemande.

01/01/1916  N° 8 09/01/1916  N° 9 16/01/1916  N° 10 23/01/1916  N° 11 30/01/1916  N° 12 06/02/1916  N° 13 13/02/1916  N° 14-1 13/02/1916  N° 14-2 20/02/1916  N° 15-1 20/02/1916  N° 15-2

On retrouve un dessin sur Pont-à-Mousson dans le numéro 33 et on rend hommage aux "IMMORTELS", les soldats du Bois le Prêtre enterrés au cimetière du Pétang. C'est le  dernier numéro qui  se présente comme l'ORGANE  du PÉRIL .. ? (Ah ... RIONS ... !)  car la 73e division va changer de secteur. 

27/02/1916
N° 16
05/03/1916
N° 17
12/03/1916
N° 18
19/03/1916
N° 19
26/03/1916
N° 20
02/04/1916
N° 21
09/04/1916
N° 22
30/04/1916
N° 23
07/05/1916
N° 24
14/05/1916
N° 25
21/05/1916
N° 26
28/05/1916
N° 27
04/06/1916
N° 28
11/06/1916
N° 29
18/06/1916
N° 30
25/06/1916
N° 31
02/07/1916
N° 32
09/07/1916
N° 33

En juillet 1916, le Grand Quartier Général des Armées décide d'envoyer la 73e division sur Verdun, remplacée par la 129e division qui revient de Verdun dans un triste état.  Elle quitte donc le front du Bois le Prêtre où elle se battait depuis le début de la guerre. La relève  se fait du 18 au 20 juillet 1916,  Le quartier général de la division s'installe à Liverdun pendant la relève, ce qui explique que le N° 34 du 25 juillet présente un dessin de Liverdun avec comme nouvelle dénomination "Journal intermittant  de la eme  division".  

Avant de rejoindre le front de Verdun, la division se rend  au camp de Saffais au sud de Nancy pour suivre une instruction militaire.  Les services de santé s'installent  fin juillet à  Fontoye près de Toul ce qui permet de comprendre le jeu de mot sur le dessin du numéro 35.  Sur ce même numéro, la rubrique " En première ligne " s'appelle "A la Halte"  pour signifier que la division est au repos.

A la mi-août, la division rejoint le front de Verdun et il faut attendre le 10 octobre pour voir sortir un nouveau numéro du Mouchoir intitulé IN MEMORIAM, rédigé par l'abbé Ledain, consacré au décès de 5 collaborateurs tués au tunnel de Tavannes le 4 septembre 1916.  Alfred BOUCHERON,  Georges  DECELLE,  auteur de nombreuses poésies, René CHEVALIER,  Alfred FAURE  et Paul MARCHAND chargé de la diffusion du journal.

25/07/1916  N° 34 10/08/1916  N° 35 10/10/1916  N° 36

Avec le numéro 37 le journal retrouve une certaine régularité, paraissant maintanant tous les 15 jours. Il n'est pas toujours facile de comprendre certains situations comme sur ce numéro  qui fait référence  à un char d'assaut britannique fourni aux Canadiens sur la Somme. Les soldats d'un bataillon avaient surnommé cet engin  "Crème de menthe". Le numéro 38 voit le retour de la rubrique "En première ligne" ainsi que l'affichage du prix de l'abonnement, 5F pour un an pour les soldats du front et 10F pour les civils de l'arrière. Le numéro 39 célébre l'anniversaire de la fondation du journal et le numéro 40 montre un dessin de l'empereur d'Autriche-Hongrie, François Joseph qui vient de mourir le 21 novembre, à 86 ans, après 67 ans de règne. Le numéro 42 qui paraît pour Noël comporte 8 feuilles et le 43 du 1 janvier 1917 espère la victoire pour cette année et présente une nouvelle arme, le tank.

Après être resté d'août à septembre 1916 sur le front de Verdun, la division revient dans la région à l'Est de Lunéville, sur Veho Emberménil et Bénaménil et y reste jusqu'au 27 mai 1917 puis repart au repos et instruction au camp de Saffais.

25/10/1916
N° 37
04/11/1916
N° 38
14/11/1916
N° 39
26/11/1916
N° 40
25/12/1916
N° 41-1
25/12/1916
N° 41-2
01/01/1917
N° 42
15/01/1917
N° 43
01/02/1917
N° 44
15/02/1917
N° 45
01/03/1917
N° 46

C'est lors de son retour sur ce front de Lunéville que le Mouchoir consacre 8 feuilles à Gerbéviller dans le numéro 47, un bourg paisible de 1600 habitants détruit à 80% le 24 août 1914. L'évènement largement relaté par la presse va vite illustrer la ville comme étant une "martyre". Le numéro 47 consacre 8 feuilles à Gerbéviller.

15/03/1917 N° 47-1 15/03/1917 N° 47-2 15/03/1917 N° 47-3

Ensuite la diffusion du Mouchoir connaît une longue interruption jusqu'en septembre 1917. La 73e division va beaucoup bouger, en juin elle part sur le front de l'Argonne, puis en août 1917 elle est envoyée sur Belfort pour occuper un secteur entre la frontière suisse et Fulleren. Le numéro 48 qui sort le 15 septembre insiste sur la relève et explique que cette interruption est due aux combats qui ont été livrés. La parution du journal retrouve alors un rythme assez régulier jusqu'en mars 1918. Dans le numéro 49 on voit les premiers dessins typiques de l'Alsace et on retrouve un journal plus conséquent pour Noël 1917. Le numéro 55 de janvier 1918 montre le premier dessin d'un soldat américain, le 58, le viaduc de Dannemarie sur la Largue et le 60 est le dernier numéro tiré sur le front du Sundgau en Alsace.

15/09/1917
N° 48
01/10/1917
N° 49
15/10/1917
N° 50
01/11/1917
N° 51
15/11/1917
N° 52
10/12/1917
N° 53
25/12/1917
N° 54-1
25/12/1917
N° 54-2
01/01/1918
N° 55
15/01/1918
N° 56
15/02/1918
N° 57
01/03/1918
N° 58
15/03/1918
N° 59

15/04/1918
N° 60

En mai 1918 la 73e division change encore de position, elle part en juin sur la Somme dans la région de Picquigny, revient en juillet sur Château-Thierry pour être engagée dans la 3e bataille de l’Aisne, (Veuilly-la-Poterie et Chézy-en-Orxois), puis elle participe à la 2e bataille de la Marne (Passy, Varennes Jaulgonne). Tous ces mouvements figurent dans le dernier numéro publié en temps de guerre, un véritable et sérieux reportage, rédigé uniquement par l'abbé Ledain et illustré par Joseph Lesage, qui contrairement aux précédents ne masque plus les noms des lieux ou intervient la division et en particulier le 356e RI. Il annonce que les trois régimentsde la 73e division ont été cités à l'Ordre de l'Armée.  Des 6 régiments d'infanterie qui formaient la 73e division en 1914 (346, 353, 356, 367, 368, 369), il n'en reste que trois en 1918, les 346e, 356e et 367e RI.

08/09/1918  N° 61

En septembre la division se positionne en Argonne (front d'Avaucourt) puis est relevée par des unités américaines. Elle participe encore en octobre à l'offensive Meuse-Argonne, qui fut la dernière grande attaque de la Première Guerre mondiale avant de revenir sur le secteur de Baccarat en novembre puis de participer à la libération de l'Alsace  avant sa dissolution le 31 mars 1919.  Le dernier numéro du Mouchoir est imprimé le 19 mars 1919 dans le presbytère de l'abbé Ledain. Il rend hommage à Joseph Lesage décédé de la grippe espagnole le 19 octobre 1918 à l'hôpital de Paray-le-Monial.

19/03/1919  N° 62

Remarque : Ce journal ne parraissait pas en couleur contrairement à ce que l'on pourrait croire en regardant certaine pages sur Internet.