Carnet de route de Gabriel DELOR. (mars 1916)

1er mars 1916 
Les boches nous ont fait un réveil un peu en vitesse : leurs mitrailleuses et leurs canons se mettent à marcher; immédiatement nous sommes en d'alerte. Cela ne dure que quelques minutes. Le soir, nous sommes relevés et nous allons dans le pays, dans la nouvelle citerne. Nous prenons 1heure de faction la nuit.

1 mars 1916 : (JMO 302e RI ) A 5 heures fusillade assez vive devant le secteur suivie d'un court bombardement par 77 sur la ligne de résistance et le village. A 23h 30 un dirigeable passe au dessus de Regniéville se dirigeant vers les lignes allemandes.

2 mars 1916 
Je me suis reposé toute la journée. Nous avons eu un exercice d'alerte à 3h. Le soir, à 9h1/2, nous avons été occuper les emplacements de combat à l'entrée du village. J'ai été piocher dans une tranchée de tir dans 50 cm d'eau où nous avons eu un mal de chien pour ne rien faire (n’arriver à rien).   
 
3 mars 1916 
Les boches se mettent à bombarder l'arrière de nos lignes, le Colonel, les cuisines et Martincourt; il y a plusieurs blessés. L'après-midi, je vais piocher près du Commandant. Je suis libre la nuit et je peux me reposer. Nous avons encore un temps épouvantable, de la pluie et de la neige.

3 mars 1916 : (JMO 129e brigade p48) L'action de l'artillerie ennemie se fait sentir sur nos bivouacs et les nœuds importants de nos communication, probablement par représailles. Les minenwerfers bombardent violemment nos positions devant le 302e et le 311e. Notre artillerie de tranchée ne se se montre pas très active.

Le Minenwerfer, mortier "léger" de 76mm, pesait tout de même quelque 100 kg, ce qui ne facilitait pas son transport par les fantassins pendant les opérations. Une équipe de six hommes pouvait maintenir une cadence de tir de 20 coups par minute, pendant une période limitée. 

Le mortier de 76 mm tirait un projectile de 4,5 kg, sa portée optimale était comprise entre 300 et 1000 mètres

 

4 mars 1916 
Rien de nouveau, j'ai été travaillé toute la journée à piocher. Je me suis reposé la nuit. J'ai pris la faction à la citerne de 9h à 10h.

5 mars 1916 
L'après-midi, nous avons eu repos et le soir, nous avons été relevés aux cabanes de Martincourt et il ne fait pas chaud: Il a gelé très fort la nuit, mais ayant deux couvertures, je n'ai pas froid. 

6 mars 1916
Rien de nouveau. L'après-midi, il a tombé beaucoup de neige qui n'a pas fondu et il a gelé toute la nuit.

 7 mars 1916 
Rien de nouveau, nous allons toujours, matin et soir, au cours de signaleur. Il gèle très fort la nuit, et nous n'avons pas trop chaud dans nos baraques.

7 mars 1916 : (JMO 302e RI ) Quelques bombes sur la partie est du secteur. A la suite d'une chute de neige assez abondante l'ennemi montre peu d'activité.

 8 mars 1916 
Nous avons toujours de la pluie et de la neige, un temps épouvantable. Je vais toujours au cours de signaleur. A part cela, rien de nouveau. 

9 mars 1916 
Toujours le même temps : De la neige et de la neige. 

10 mars 1916 
Rien de nouveau, toujours le même temps et je vais au cours de signaleur matin et soir. Notre repos tire à sa fin, et demain soir, nous remontons. 

11 mars 1916 
Rien de nouveau, toujours la même chose.

12 mars 1916 
Nous remontons ce soir aux tranchées de 1ère ligne. Il fait une chaleur comme longtemps l’on en a plus vu. Nous étions esquintés et traversés de sueur pour venir ici ce matin. J’ai ma flanelle qui est encore mouillée. J'ai pris la faction aux abris à 10h et à 3h du matin avec Titine. Les boches nous ont envoyé pas mal de crapouillots et de torpilles comme nous passions dans le village. Il y en a une qui est passée au-dessus de nous et qui n'est pas tombée très loin du boyau. Heureusement qu'elle n'a pas éclaté, sans cela nous aurions pu être touchés. Notre artillerie les bombarde encore énormément. Cette nuit, nous avons vu, Titine et moi, plusieurs aéros de chez nous qui allaient bombarder une ville ou une gare boche.  

12 mars 1916 : (JMO 302e RI ) L'ensemble du secteur est bombardé à intervalle régulier par obus de gros calibre et torpilles. Relève du 5e Bataillon par le 6è. Le 5e Bataillon va à Rosières.

13 mars 1916 
Nous avons été tranquilles toute la journée. Le soir, J'ai pris ¾ heure de faction à l'abri, mais les boches n'étaient pas commodes; nous avons malheureusement trois blessés et il y en a un qui a succombé à ses blessures, et quatre autres qui ont été commotionnés par des torpilles. J'ai pris la faction de minuit jusqu'au matin, les boches nous ont envoyé des crapouillots; je vais reprendre de 10h jusqu’à midi. 14 mars 1916 
Nous sommes tranquilles l'après-midi. Je suis descendu de faction des premières lignes à midi. Il y a un Russe prisonnier des boches qui s'est rendu dans nos lignes, il était accompagné de deux Français, et ont été repris par les boches avant de pénétrer chez nous. Ce Russe travaillait dans une usine de munitions, il a réussi à traverser les lignes boches sans être vu, en rampant. Il avait pu se nourrir dans une ferme française, dans les pays envahis. Le soir, au moment de prendre la faction aux abris comme d'habitude, des ordres arrivent pour que nous fournissions trois postes de sentinelle double, par peur d'une attaque. Notre Compagnie n'a pas eu de chance, nous avons trois camarades qui ont été réduits en bouillie par une torpille tombée à la porte d'un abri de bombardement et qui a roulé jusqu’au milieu. Il y a deux garçons et un qui est marié et père d'un enfant. Il y en a un qui sortait de l'hôpital. Quelques jours avant de remonter; les deux garçons étaient très gais, ils s'appelaient Simonet Rebourd et Besigton. Voilà quatre (?) malheureux tués sans se défendre, quelle affreuse guerre de tranchées!  

14 mars 1916 : (JMO 302e RI ) De 20 à 24 heures un grand nombre de torpilles tombent sur le village et le secteur occasionnant de nombreux éboulements. Le soldat Aubert Alcide de la 21 Compagnie est tué et le caporal Garreau Julien de la même compagnie est blessé. Un déserteur russe, le soldat Chorev Piok du 199e d'infanterie russe franchit les lignes allemandes et vient se rendre à notre équipe de fil de fer.

15 mars 1916 
J'ai pris la faction de midi à minuit et après, j'ai encore pu faire du boyau. Nous faisons, en ce moment, un service monstre. Toute la nuit, j'ai été debout. Il y a une torpille qui est tombée tout près de moi et de mon camarade Mellard, nous avons été couverts de terre et la tranchée a été toute bouleversée, nous l'avons échappée belle, heureusement que nous sommes habitués à toutes ces émotions! 

15 mars 1916 : (JMO 302e RI ) L'artillerie ennemie et les minenwerfer montrent un très grande activité en particulier sur Regniéville ses abords et les boyaux de communication arrière. Les caporaux Simonet, Bessineton et le soldat Rebours Louis de la 21 Compagnie sont tués. 

16 mars 1916 
J'ai repris la faction en première ligne de midi jusqu'à 3h, et à 6h1/2, nous avons été relevés par la 22ème Compagnie. Nous étions enchantés de quitter la tranchée de première ligne. Nous voilà au Colonel avec un temps superbe, les boches envoient beaucoup d'obus ici; maintenant, il faut faire attention partout. Mais c'est vrai que notre artillerie leur a fait d’énormes pertes depuis une quinzaine de jours par les rafales d'obus que nous leur envoyons jour et nuit. 

17 mars 1916 
Nous voilà au Colonel par un temps superbe; j'étais désigné avec toute mon escouade à faire la corvée de quartier. Nous avons été très tranquilles toute la journée. Le soir, j'ai reçu une lettre de ma chère petite femme avec notre photographie, je suis très heureux d'avoir la frimousse de ma chère petite femme chérie sur moi. 

18 mars 1916 
Je vais piocher dans un nouveau boyau dans les sapins, 3heures le matin et 3heures le soir. Il fait un temps vraiment superbe avec un beau soleil. Cela me semble très bon après le mauvais que nous avons passé depuis des mois. Nous avons appris que des boches s'étaient introduits dans une tranchée de notre secteur, au poste du 311ème (R). Nos veilleurs ont eu peur des boches, il y a même le caporal de chez nous qui a reçu un coup de crosse de fusil par un boche, les autres étaient dans une guérite, et impossible de pouvoir sortir, et les boches sont repartis chez eux comme ils étaient venus, sans se faire de bile. Il y en a encore un tué à Regniéville.

18 mars 1916 : (JMO 302e RI ) Vers 3 heures une patrouille ennemie vient devant nos lignes et s'attaque au guetteur de la sape du cimetière.

19 mars 1916 
Rien de nouveau, je vais toujours piocher dans le nouveau boyau. Il fait toujours un temps superbe, et dans les sapins, il fait joliment bon. Si l'on n'avait pas peur qu'il nous arrive quelque 77 ou 105 boches, nous serions tranquilles; c'est toujours ce qu'il y a à craindre.

Vestiges des tranchées : Bois Brûlé mars 2016

20 mars 1916 
Depuis la veille, je ne suis pas très bien, j'ai mal aux dents et dans la tête. Je vais piocher le matin comme d'habitude, mais le soir, il m'est absolument impossible de travailler. Je reste donc tout l'après-midi couché et je souffre de plus en plus. Je passe une nuit épouvantable, j'ai des névralgies et j'ai très très mal aux dents, c'est encore cette dent qui était plombée qui s'est cassée depuis que je suis ici.

21 mars 1916 
J'ai été à la visite et j'ai deux abcès dans la bouche; c'est pour ça que je souffre tant, j'espère que cela ne sera rien. Je fais des lavages d'eau oxygénée. A part cela, rien de nouveau. 

21 mars 1916 : (JMO 302e RI ) De 16h30 à 18 heures bombardement par torpilles de gros calibre sur Rycklinck. Relève du 6e Bataillon par le 5e gênée par un tir violent de l'artillerie ennemie. . Ce bombardement produit de nouveaux dégâts et éboulements. Il nécessite la réfection d'un certain nombre de boyaux.

22 mars 1916 
Hier soir, les boches nous ont fait un fort bombardement, surtout avec des torpilles. Il y en a encore de tués à la 24ème Compagnie et trois blessés, ce qui fait sept tués à notre relève dans le Bataillon; nous n'avons pas eu de chance cette fois-ci. Je souffre encore de mes dents.

23 mars 1916 
Nous voilà au repos à Fontaine Madame,  dans des baraques qui ne sont pas trop mal, mais les obus tombent de temps en temps tout près de nous. J'ai toujours mes abcès dans la bouche, ils ne guérissent pas vite. J'ai été à la visite ce matin, et il faut toujours que je fasse la même chose. 

24 mars 1916 
Jour de ma fête. Rien de nouveau, je souffre toujours de mes dents et de mes abcès. On a un temps assez beau, il y a des pièces d'artillerie qui sont à côté de nous qui tirent constamment, jour et nuit, des rafales de 15 à 20 coups à la fois.

25 mars 1916 
J'ai été à Pierrefort, à l'hôpital, pour mes abcès et j'ai vu le dentiste qui m'a arraché ma dent sans pouvoir me faire de piqûre à la cocaïne à cause des abcès. J'ai souffert comme un malheureux, j'étais parti à 11h du matin et je suis rentré à 5h, très fatigué. Je me suis couché en arrivant, sans pouvoir dîner. 

26 mars 1916 
Rien de nouveau, mes dents ainsi que mes abcès vont de mieux en mieux. J'espère que dans 2 ou 3 jours, tout sera fini. 

27 mars 1916 
Toujours rien de nouveau. Maintenant, je vais tout à fait bien, mes abcès sont complètement partis. J'ai été au cours de signaleur l'après-midi.

28 mars 1916 
Il fait un temps épouvantable toute l'après-midi; il a tombé de la neige à gros flocons et nous pataugeons dans la boue.

29 mars 1916  
Rien de nouveau, nous remontons aux tranchées de première ligne à 8h1/2 du soir et je prends la faction en première ligne jusqu'à minuit; je reprends 1h1/2 au boyau Delaporte. Les boches ont été très calmes toute la nuit. Nous leur avons envoyé des torpilles énormes et ils n'ont très peu répondu, ce qui est rare de leur part. Je voudrais bien que toute la relève soit tranquille comme cela. Le temps est assez beau. 

29 mars 1916 : (JMO 302e RI ) Relève du 5e Bataillon par le 6e.

30 mars 1916 
Le matin, repos. L'après-midi, nous allons piocher et mettre de la terre dans les sacs. Nous sommes obligés de quitter le travail, Les boches s’étant mis à nous envoyer des torpilles et des gros obus de 130 autrichiens. La nuit, nous allons chercher des sacs pour le vider sur notre abris qui est à moitié démoli par les torpilles. Rien que dans un trou, nous mettons 180 sacs. Nous travaillons de minuit à 4h du matin.  

30 mars 1916 : (JMO 302e RI ) L'artillerie ennemie effectue des tirs de réglage sur tous les points du secteur.

31 mars 1916 
Je me suis reposé tout l'après-midi. Mais à partir de minuit, j'ai travaillé dans un boyau à piocher jusqu'à 5h du matin. A part çà, rien de nouveau.