Carnet de route de Gabriel DELOR. (novembre 1915)
1er novembre 1915
Toussaint : le matin, à 6h, nous avons été dans la forêt de Puvenelle, (à l’Est de Mamey), faire des claies dans les bois. Nous sommes rentrés à 11h pour déjeuner par un vilain temps. L'après-midi, repos. Nous sommes dans de bons abris avec du feu et on fait de bons roupillons.
Abris dans la forêt de Puvenelle, mars 1916, (collection privée)
2 novembre 1915
Il est 7h du matin. Je viens de me lever et j'écris aussitôt à ma petite femme, comme d'habitude. Je n'ai pas encore mis mes chaussures, je suis toujours en chaussons, assis sur le bas flanc, il fait un temps épouvantable, du vent et de la pluie. Nous avons été piocher 3h l'après-midi.
3 novembre 1915
Nous sommes libres toute la journée. Il y a corvée de lavage.
4 novembre 1915
Nous allons piocher le matin de 7h à 10h du soir. A midi un quart, nous allons aux douches à
Mamey. Nous rentrons à 3h1/2. Repos le reste du temps.
5 novembre 1915
A 2h de l'après-midi, revue des fusils, sachets à gaz et outils. Repos tout le reste de la journée. Nuit épouvantable à cause du vent.
6 novembre 1915
Le matin, repos. L'après-midi, à 5h, nous remontons aux tranchées de première ligne, un jour plus tôt que d'habitude, mais nous ne devons rester que 7 jours. Aussi, nous sommes couchés à 6h1/2. J'ai pris la faction à l'abri de 2h à 3h.
6 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) Relève du 5e Bataillon par le 6e. Le Lieutenant Colonel Echard partant en permission le commandant Humbolt prend le commandement du régiment en son absence.
7 novembre 1915
Le matin, repos. L'après-midi, nous avons fait une sale corvée : aller chercher des chevaux de frise en fer dans le pays pour les porter dans les tranchées de première ligne, cela jusqu'à 5h. J'étais en nage, les mains arrachées avec le fil de fer barbelé. La nuit, nous avons été piocher de minuit à 5h du matin. Les boches nous ont envoyé une quantité de balles, mais pas de torpilles ni de crapouillots.
7 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) Bombardement par torpilles de gros et de moyen calibre sur tout le secteur pendant une partie de la nuit.
8 novembre 1915
Le matin, repos. Après le déjeuner, nous allons travailler dans un endroit de bombardement, à creuser pendant 24h jusqu'à 1h le lendemain. Nuit tranquille.
8 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) journée assez calme.
9 novembre 1915
L'après-midi, corvée à Regniéville. Le soir, à 5h, nous sommes relevés des tranchées de première ligne. Nous allons au Colonel un jour plus tôt que d'habitude, et comme nous étions les derniers à prendre la faction dans la tranchée, nous passons à côté de la pluie. Cela nous fait plaisir, surtout qu'il en tombe toute la nuit.
10 novembre 1915
Toute la journée et toute la nuit, repos.
11 novembre 1915
Le matin, nous allons faire deux corvées à Regniéville : porter des munitions et des torpilles. L'après-midi, nous en faisons encore une. De 6h1/2 à 11h du soir, nous allons piocher.
Travail pendant la nuit, avril 1916
12 novembre 1915
Repos toute la journée. 1h30 de piochage l'après-midi, à une cabane. Un temps épouvantable, de l'eau à torrents et de la tempête. Les boyaux s'écroulent partout. Nous avons la nuit tranquille.
13 novembre 1915
Le matin, nous allons faire une corvée à Regniéville. J'ai porté un créneau en fer, toujours par un temps épouvantable, toujours de la pluie à torrents, 20 cm d'eau dans les boyaux. Le soir, nous sommes relevés à 5h1/2 par le 5ème Bataillon et nous allons à Martincourt coucher dans les baraques.
13 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) De 20h à 222h bombardement très vif de Rycklinck et du village par torpilles et grenades à fusil. Relève du 6e Bataillon par le 5e.
13 novembre 1915 : (JMO 129e brigade p40) La pluie a causé beaucoup de dégâts aux tranchées et boyaux.
14 novembre 1915 : (JMO 129e brigade p40) activités très ralenties de part et d'autre à cause du mauvais temps. R.A.S.
14 novembre 1915
Nous partons au repos à Rosières-en-Haye. Nous traversons Rogéville par un temps épouvantable. Je n'ai jamais été aussi mouillé que cette journée-là, de la neige toute la journée. Nous arrivons pour prendre la garde pendant 24h. Trempés jusqu'aux os, avec des hommes au trois quart soûls, il y a des batailles la nuit. Je me rappelle cette journée de misère, le matin, à 2h, j'étais de faction et couvert de neige.
Rosières-en-Haye pendant la guerre
14 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) La partie droite du secteur est arrosé pendant presque toute la nuit par de grosses torpilles. Le
6e Bataillon va à Rozières en cantonnement de repos.
15 novembre 1915
Nous sommes relevés à 9h du matin. Toutes mes affaires sont encore trempées. Mon linge et mes provisions que ma petite femme chérie m'avait envoyées l'après-midi l'étaient aussi. Nous allons boire du vin chaud. Il fait un froid épouvantable à coucher dans notre grenier, je n'ai jamais eu si froid, nous n'avions même pas de paille et il gèle à pierre fendre.
16 novembre 1915
Repos toute la journée. Il fait toujours un froid de loup. J'ai été obligé d'acheter une botte de paille pour me coucher et pour ne pas mourir de froid. C'est tout de même honteux de voir que nous risquons notre vie pour le Gouvernement et qu'on ne nous donne même pas uns botte de paille pour se coucher.
17 novembre 1915
Le matin, revue d'armes. Il tombe encore de la neige et nous sommes toujours gelés dans notre grenier sans feu, avec des trous dans la couverture. L'après-midi, repos.
17 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) Le Lieutenant Colonel Echard rentrant de permission reprend le commandement du régiment.
18 novembre 1915
Le matin, il y a de la gelée et il fait très froid. Nous décidons, toute l'escouade qui se compose de sept, d'aller déjeuner dans un petit village à côté, qui se nomme
Saizerais (voisin de Rosières-en-Haye à l’est). Je me paye une douzaine d'huîtres, cela me fait très plaisir. Nous rentrons à 1h1/2. L'après-midi, j'écris à ma petite femme chérie, aux parents, ainsi qu'à madame Varin. Nous allons dîner et ensuite coucher dans notre glacière.
19 novembre 1915
Le matin, nous avons été faire une corvée dans les bois : chercher du bois pour les cuisines, avec une voiture à quatre chevaux. Le soir, repos.
20 novembre 1915
Toujours le même temps du froid du vent. L'après-midi, nous avons un petit concert fait par des carlistes amateurs et un professionnel. Le soir, bal avec la musique du Régiment.
21 novembre 1915
Rien de nouveau. Deslandes, mon caporal d'escouade part en permission de 6 jours à Paris. Il m'emporte un petit paquet pour remettre à ma petite femme chérie qui va être heureuse d'entendre de mes nouvelles fraîches et de vive voix.
22 novembre 1915
Le matin, nous quittons Rosières-en-Haye et nous allons déjeuner à Martincourt dans les baraques. A 3h de l'après-midi, nous repartons au Colonel. A 7h, nous remontons aux tranchées en première ligne jusqu'au lendemain à midi. Le service est changé, maintenant, nous ne faisons que 12h à la fois et nous montons deux fois dans les quatre jours. Les tranchées sont dans un état épouvantable, bouleversées de tous les côtés. On est obligés de se coucher pour passer sans être vus des boches. Ce sont leurs sales torpilles et les crapouillots qui sont à la cause de tout cela. Toute la nuit n'a été qu'un duel de torpilles. On se demande comment on peut résister à tout cela sans être tué ou blessé.
22 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) Le 6e bataillon quitte Rozières il relève le 5e sur la position.
23 novembre 1915
J'ai dormi l'après-midi et toute la nuit. J'ai pris 1h de faction aux abris à 5h du matin. Je me suis bien reposé.
23 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) Journée calme, l'ennemi lance pendant la nuit un assez grand nombre de bombes sur tout le front de la position.
24 novembre 1915
Le matin, repos. Après le déjeuner, nous allons faire des corvées dans le pays : porter du matériel en première ligne, des chevaux de frise. Nous apprenons que Jean-Marie Bernardais, un copain de l'escouade, a été blessé à la cuisse par un crapouillot. Il a été évacué à Toul, j'ai porté son sac à l'infirmerie et nous nous sommes partagés ses affaires parce qu'il y a de grandes chances qu'il ne revienne plus ici: Il a eu une hémorragie et en a pour trois mois d’hôpital au moins. L'après-midi, nous continuons la journée par des nettoyages des boyaux, pour enlever l'eau qu'il y a dedans avec des pelles. Le soir, à minuit, nous montons en première ligne prendre la faction. Cela fait mal au cœur de quitter un endroit chaud pour monter la garde les pieds dans la boue pendant 12h. Heureusement, que les boches ont été très sages toute la nuit, cela nous a semblé tout drôle de ne rien entendre. Les nôtres n'ont rien dit non plus.
24 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) Pendant toute la journée l'ennemi ne cesse d'envoyer sur le secteur des torpilles de moyen calibre tirées par rafales avec d'assez longs intervalles.
25 novembre 1915
Nous sommes relevés à midi. L'après-midi, nous nous reposons, et toute la nuit aussi.
26 novembre 1915
Le matin, nous commençons une corvée aux tranchées de première ligne: porter du matériel pour la nuit. Après la soupe, la neige se met à tomber à torrents. Il y en a au moins 15 cm d'épaisseur. Nous ne pouvons continuer notre corvée parce que nous faisons un bombardement sur les boches, et de peur qu'ils répondent, il ne faut personne dans les boyaux. Le soir, ils nous ont envoyé une quantité de torpilles et de bombes.
27 novembre 1915
Nous voilà descendus dans le pays. Nous n'avons plus nos anciens abris, nous couchons dans une citerne, dans une humidité épouvantable; il y a plusieurs cm d'eau par terre. Heureusement que nous pouvons faire du feu jour et nuit, sans cela nous serions gelés. Il tombe toujours de la neige et il gèle à pierre fendre. Repos toute la journée, mais le soir, il y a une corvée à faire avec le génie. Ayant très mal à la gorge, je n'y vais pas. J'ai ma nuit tranquille.
28 novembre 1915
Toujours le même temps. Je fais le maçon. Je transporte des pierres pour faire un mur au Commandant. La nuit, je dors tranquille. L’on coupe tout ce que l’on trouve pour faire du feu, ainsi que les brancards et les vieux lits qui restent des habitants.
29 novembre 1915
Je viens de prendre une purge. Il est 9h du matin. Étant mal fichu depuis plusieurs jours, le soir j'ai été malade comme un cheval; j'avais de la fièvre et un mal de tête fou. Il fait un temps épouvantable, la pluie n'a pas arrêté depuis le matin, et toute la nuit aussi.
30 novembre 1915
Après avoir passé une bonne nuit, ce matin, je me trouve beaucoup mieux. La pluie tombe toujours: il y a 50cm d'eau dans les boyaux. Je viens d'apprendre qu'il y a trois pauvres malheureux de la 22ème
compagnie qui ont été tués cette nuit, au petit poste 2, quelle triste fin! Le soir, à la 24ème
compagnie, il y a encore un tué et deux blessés, il y en a un qui a le genou emporté, quatre doigts de la main coupés et un œil crevé, quel triste état il avait le pauvre malheureux! Nous sommes relevés à 6h1/2, nous allons au repos à
Martincourt.
30 novembre 1915 : (JMO 302e RI ) L'ennemi lance de nombreuses torpilles à intervalles réguliers et par salves. Trois hommes de la 22e Cie, les soldats Guillier Désiré et Pioffret Jacques et le caporal Vrioulaud sot tués au poste d'écoute de Gautier. Le 6e bataillon est relevé par le 5e.