Carnet de route de Gabriel DELOR. (décembre 1915)
1er décembre1915
La nuit est assez belle, nous avons un peu de soleil. Cela semble bon, mais la nuit, nous avons une tempête épouvantable, la pluie et le vent font rage. Heureusement, nous n'avons pas froid.
2 décembre 1915
Toute la journée, nous avons de la pluie et du vent qui n’arrête pas de tomber depuis hier et qui durent toute la journée. Nous n'avons rien à faire.
3 décembre 1915
Toujours le même temps : Voilà 48h que l'eau tombe. Nous avons eu une théorie sur les gaz. L'après-midi, repos.
3 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) A la suite de pluies persistante le secteur commence à être envahi par les eaux.
4 décembre 1915
Nous partons à 8H pour Manonville où nous allons dans une pièce pour essayer nos sachets à gaz asphyxiants. Nous rentrons à 11H30, et toujours de l'eau. A midi, on m'annonce que je dois partir pour Manonville, faire un stage de signaleurs pendant 8 jours.
Section photographique de l'armée.
Cela me fait couper à une relève de première ligne, et je suis heureux, surtout que nous voyons arriver des camarades du 5ème Bataillon qui sortent des tranchées dans un état épouvantable, couverts de boue des pieds à la tête. Nos abris de bombardement sont remplis d'eau et les tranchées de première ligne sont intenables. Il y a un endroit où il y a 1,25 m d'eau, c'est effrayant de voir çà.
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Un des premiers masques, sac avec filtre | Signalisation optique par drapeaux blanc et rouge |
5 décembre 1915
Nous commençons notre cours avec des petits drapeaux blancs et rouges.
6 décembre 1915
Nous allons à une prise d'armes pour des décorations. L'après-midi, nous continuons notre cours. Je suis heureux car j'ai reçu par la poste la photographie de ma chère petite fille Yvonne, une surprise de ma petite femme chérie que j'adore à la folie.
7 décembre 1915
Cette nuit, il fait un temps épouvantable: De la pluie et du vent. Ce matin, nous avons été au cours, le sujet parlait de la manière de tenir la lanterne à disques, pour les signaux optiques. Le soir, le même temps.
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Soldat manipulant un signaleur optique | Signaleur optique allemand |
8 décembre 1915
Toujours le même temps et encore de l'eau. Nous avons théorie sur la lanterne à signalisation.
8 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) Le 5è Bataillon est relevé par le 6e. Le 5e Bataillon se rend à Rozières avec le Colonel Echard. Le secteur est complètement envahi par les eaux.
9 décembre 1915
Repos toute la journée, mais je suis de soupe et de corvée de cuisine. Toujours de l'eau nuit et jour sans arrêt.
9 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) L'inondation devient menaçante et Regniéville menace d'être isolé de Jolival. Les corvées obligées de passer en terrain découvert sont en butte au tir des mitrailleuses allemandes.
10 décembre 1915
Toujours le même temps: De la pluie et du vent jour et nuit. La plaine est couverte d'eau. Nous continuons nos cours.
11 décembre 1915
Encore de la pluie et du vent. Cela va devenir désastreux. On se demande ce qu'on va devenir avec un temps pareil. Dernier jour de cours.
12 décembre 1915
Toujours le même temps. Hier soir, j'ai été comme la veille à l'église de Manonville, au salut. C'est une petite église très gentille et très propre. L'après-midi, il tombe de la neige à gros flocons. Notre cours est fini, l'adjudant a interrogé quelques uns d'entre nous. C'est le chef du groupe qui a donné nos points. Moi, j'ai eu 5 sur 5.
Église et château de Manonville
13 décembre 1915
Nous partons pour aller retrouver les camarades de l'escouade, au colonel. Nous sommes arrivés à 3h1/2 de l'après-midi. Ils ont été très malheureux dans les tranchées, dans l'eau pendant 4 jours et 4 nuits, et impossible de coucher dans les abris où il y a de l'eau partout. Ils sont restés assis sur leurs sacs, les pieds dans l'eau. Il y a des endroits, en première ligne, où il y a de l'eau jusqu'à la ceinture; voilà notre vie dans les tranchées.
14 décembre 1915
Le temps est changé, la journée a été belle mais pas chaude. Il gèle très fort la nuit. J'ai été piocher toute la journée pour mettre les cuisines qui sont dans l'eau jusqu'aux moyeux des roues.
15 décembre 1915
J'ai été à Regniéville en corvée. Les boyaux commencent à avoir moins d'eau, à part au mur
près du bout, où il y a encore de 50 à 60 cm d'eau. Journée belle, forte gelée la nuit.
16 décembre 1915
Nous avons été en corvée à Regniéville. Nous avions à porter des chevaux de frise en bois d'une taille démesurée, et nous avions un mal terrible à passer dans les boyaux. Il a fallu les porter constamment en l'air, à bout de bras, risque à se faire bombarder par les boches. Que le génie français a peu d'intelligence à faire des appareils non transportables! Que vous ayez la force ou non, il fallait le faire, nous avions les mains en sang avec mon ami Doumain. J'ai déchiré mon pantalon et mon sachet à gaz, mais tout cela ne fait rien. La vie d'un homme en France coûte si peu que l'on n'y fait même pas attention. A l'heure où j'écris ces lignes, je suis au téléphone, dans une cabane au repos à
Fontaine-Madame. Il est 2h du matin, je suis à en poste pendant 24h, voilà le repos que nous avons.
Fontaine-Madame est situé dans un vallon entre Mamey et Fey au nord-est du bois Brûlé.
17 décembre 1915
Aujourd'hui, pas de changement. Je suis toujours au téléphone jusqu'à demain soir vers les 7h. Je suis en train de veiller. Il est 3h du matin.
17 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) Relève du 6e Bataillon par le 5e.
18 décembre 1915
Je suis toujours au téléphone. Nous sommes relevés à 6h du soir.
19 décembre 1915
Nous avons été aux douches à Mamey. Cela me fait beaucoup de bien. C'est l'endroit où elles sont le mieux installées où j'ai été à ce jour.
Possible installation des douches et de l'infirmerie à Mamey
20 décembre 1915
J'ai repos toute la journée. Je reprends le service au téléphone ce soir à 5h1/2. Au moment de monter, voilà que les boches se mettent à faire un bombardement sur notre secteur, à Regniéville. Nous recevons alerte par téléphone. Toute la compagnie est alertée, mais cela n'a rien été, nous avions eu peur d'une attaque, mais les boches ont été tranquilles. Le bombardement a duré 15 minutes à peu près, mais il a été fort. La nuit a été calme.
21 décembre 1915
Je suis au téléphone, assez tranquille. Il tombe de la neige depuis ce matin et, à 5h du soir, il y en a eu une couche énorme. Je me suis fichu deux ou trois fois par terre en rapportant de la soupe. J'avais des pruneaux qui ont été se promener dans la neige.
22 décembre 1915
Le matin, la neige est fondue, et il tombe de l'eau. Nous sommes obligés d'allumer des bougies pour voir clair en plein jour. Les tranchées vont être encore dans état épouvantable quand nous allons remonter.
23 décembre 1915
Toujours de la pluie en masse. J'ai quitté mon poste au téléphone et je me repose avant de monter aux tranchées.
24 décembre 1915
Nous montons aux tranchées à 1h1/2 de l'après-midi pour que le 5ème Bataillon soit tranquille. Demain jour de Noël. Nous arrivons dans des abris pleins d'eau. Nous sommes assis sur nos sacs, nous avons les pieds pleins d'eau et les reins traversés par la pluie qui tombe du plafond de l'abri. J'ai pris la faction pendant 1h3/4 dans les boyaux, dans 25 cm de boue et d'eau. Cette vie est épouvantable.
24 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) relève du 5e Bataillon par le 6e.
25 décembre 1915
Nous sommes dans l'eau des pieds à la tête et couverts de boue. Nous allons prendre la faction de midi jusqu'à minuit, dans 25 à 40cm d'eau et de boue. Quel jour de Noël! Des journées comme celle-ci sont gravées dans la mémoire pour toute la vie. Le matin, nous sortons au moins 800 à 900 litres d'eau de notre abri. A midi, nous prenons la faction pendant 12h dans 25 cm. Je suis tombé dans un trou et j'ai eu de l'eau jusqu'aux cuisses. J'ai mes souliers pleins d'eau et les pieds et les jambes gelés. On se demande comment un être humain peut résister à une vie pareille. Les boches nous ont envoyé
15 à 18 torpilles dans la nuit.
25 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) A 14h30 tir d'artillerie lourde sur Grignon et la Marne. Le lieutenant Morin du 304e est affecté au régiment.
26 décembre 1915
Le matin, nous restons dans l'abri, et le soir, nous reprenons la faction dans les tranchées à minuit, pour 12h et toujours les pieds dans l'eau jusqu'aux chevilles. Heureusement que les boches ont été très tranquilles pendant tout le temps de notre faction, mais ce sont mes pauvres pieds qui sont gelés depuis 3 jours; mes chaussures sont pleines d'eau et je n'ai pas encore pu les changer. Il y a un bombardement terrible pendant 2 heures.
26 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) Bombardement par 77 et bombes de moyen calibre pendant presque toute le journée. Pendant un réglage de 155 long deux obus tombent sur nos lignes.
27 décembre 1915
Nous sommes relevés à midi, mais moi, je quitte la tranchée à 10h. L'après-midi, nous sommes tranquilles. Je prends la faction aux abris de minuit à 2h20. Le reste de la nuit, nous restons sur nos sacs.
28 décembre 1915
Toujours la vie de l'eau. Nous sommes relevés à 3h, et nous retournons dans la citerne de Regniéville. Malgré çà, nous sommes toujours dans l'eau. Il y a une pompe que nous sommes obligés de faire marcher constamment : il y a une source qui coule tout le temps dans la citerne; mais nous sommes à l'abri, c'est déjà quelque chose!
29 décembre 1915
Nous nous sommes reposés toute la journée. La nuit, j'ai été faire une corvée en première ligne, dans la tranchée: Relever la boue, la terre et les abris qui sont démolis. Nous avons pataugé dans 30 cm de boue et nous avons été obligés de passer par-dessus la parapet. Les boches nous ont bien entendus : Ils nous ont canardés à coups de fusil. Heureusement qu'ils ne nous ont pas envoyé des torpilles, sans cela nous étions dans une situation très critique, impossible de se sauver. Nous sommes rentrés à 4h du matin. Toujours plein de boue.
30 décembre 1915
Repos toute la journée. A 3, exercice d'alerte pour les gaz asphyxiants. Le clairon a sonné de la première ligne et nous avons mis nos masques pendant 1H. Cette alerte a été faite par la division jusqu'à
Manonville. Les boches ont dû se demander ce que çà voulait dire d'entendre le clairon de tous les côtés, aussi ils ont bombardé toute la nuit.
30 décembre 1915 : (JMO 129e brigade p 43) Un exercice de protection contre les gaz asphyxiants est fait dans tout le secteur de la brigade de 15h à16h. Le général ROQUES et le général PEUTEL se rendent dans le vallon de l'Ache et vallons y aboutissant pour se rendre compte de l'exercice contre les gaz.
31 décembre 1915
Dernier jour de l'année. Nous sommes relevés à 3h de l'après-midi et heureux de quitter les tranchées. Nous couchons à
Martincourt.
31 décembre 1915 : (JMO 302e RI ) a 15 heures exercice d'alerte par les moyens de protection contre les gaz; cet exercice donne un résultat satisfaisant, les moyens d'avertissement sont reconnus très insuffisants. De 20h45 à minuit bombardement par salves d'obus de 77 . Le 6e Bataillon est relevé par le 5e.